DéCOUVRIR SA BISEXUALITé SUR LE TARD, UN CHEMINEMENT INTIME ET JOYEUX

«Si je me suis longtemps défini comme hétérosexuel, je me suis toujours senti en marge de la masculinité traditionnelle, témoigne Sylvain, 41 ans. J'ai eu différentes histoires avec des femmes jusqu'à rencontrer ma compagne, ou devrais-je dire mon âme sœur. Nous avons aujourd'hui une relation exclusive absolument géniale. Reste qu'au fur et à mesure des années, j'ai compris que je pouvais aussi avoir une attirance pour des mecs, que ce soit en regardant des films ou des séries, devant lesquels il m'arrivait d'avoir un crush pour un personnage masculin, ou bien dans la vie quotidienne où je pouvais ressentir une attirance pour des collègues, par exemple.»

«Je me suis posé plein de questions sur moi et sur mon couple, poursuit-il. Les conclusions qui en sont ressorties sont: 1. que je suis heureux avec ma compagne à tous les niveaux; 2. que je suis bisexuel. J'en ai parlé avec ma compagne. Très à l'écoute, elle m'a demandé si je souhaitais “explorer” ma sexualité. Aujourd'hui, pour moi, ce n'est pas un sujet, l'exclusivité affective et sexuelle me convient très bien. Je suis simplement heureux d'avoir pu m'autoriser à faire sortir mes désirs du cadre hétéro. Et, depuis que j'ai mis les mots, je me sens plus léger et plus épanoui. Reste à me sentir légitime.»

Comme Sylvain, il n'est pas rare que des quadras (et plus) prennent conscience sur le tard de la fluidité de leurs attirances romantiques et/ou sexuelles. Ils et elles sont de cette génération qui a grandi dans une période où les représentations de la bisexualité ou de la pansexualité étaient rares et en tout cas pas toujours super positives, car souvent façonnées par les imaginaires porno hétéros, particulièrement pour les femmes. Peut-être aussi qu'une éducation conservatrice, religieuse et/ou homophobe a fait son œuvre. Alors, ces personnes ont, plus ou moins consciemment, suivi un parcours de vie hétéro et ont pu s'y épanouir.

Exploration intime

Toutefois, en vieillissant, les personnes concernées se mettent à explorer d'autres aspects de leurs désirs. Cela peut être à la faveur d'un événement personnel particulier –comme un accident ou une maladie– ou collectif. «J'ai observé un déclic avec les confinements, lors desquels les gens ont eu du temps pour eux, pour faire un travail d'introspection, pour déconstruire l'injonction à l'hétérosexualité», note Noémie Gmür, sexothérapeute.

En outre, la sédimentation de décennies de militantisme queer, les jeunes générations qui s'affranchissent plus volontiers des normes, ou encore des productions médiatiques telles que des podcasts qui donnent la part belle aux témoignages, ont pu œuvrer pour dissiper doucement l'invisibilisation de la bisexualité et de la pansexualité et donner aux personnes des représentations dans lesquelles elles peuvent trouver un écho.

Biphobie et préjugés

Pour autant, comprendre, explorer par la réflexion et/ou l'action et affirmer sa bisexualité n'est pas forcément quelque chose de simple. Bien sûr, il existe encore aujourd'hui une biphobie quasi structurelle, y compris dans les milieux LGBT+: les personnes bisexuelles seraient instables, hésitantes, volages, etc. Et les représentations médiatiques et fonctionnelles sont souvent loin d'être flatteuses, comme l'illustre cet article de Konbini et encore davantage celui-ci dans Têtu. «Je crois que j'ai un peu étouffé ma bisexualité parce que j'avais en tête des images de personnes manipulatrices et hypersexuées», confesse Lucie, 45 ans.

De plus, il y a un autre préjugé qui persiste: explorer son orientation sexuelle serait un «truc de jeunes». «Quand, à 42 ans, j'ai réalisé que j'avais aussi une attirance pour d'autres personnes que des hommes, j'ai un peu mis ça sous le tapis, en me disant que j'étais un peu vieille pour ce genre de questionnement. Je manquais de représentations de mon âge», révèle Inès, 46 ans et qui se définit aujourd'hui comme pansexuelle.

En outre, même si des témoignages et des représentations plus positives peuvent contrebalancer les préjugés, il y a aussi la question de l'environnement. «C'est une chose de trouver des représentations dans les médias, c'en est une autre d'avoir des personnes autour de soi qui écoutent et qui valident, indique Noémie Gmür. Je pense que l'entourage joue énormément. Avoir autour de soi des personnes ouvertes ou bienveillantes aide beaucoup.» À défaut de bénéficier d'un environnement capable d'accueillir les questionnements, il est aussi possible de se rapprocher d'associations qui organisent des groupes d'échange et de parole en présentiel ou en ligne, comme l'association Bi'Cause ou le collectif Bi Pan Paris, de manière à se créer un cocon safe et rencontrer des personnes qui ont eu des expériences similaires.

Reste ici à dépasser un sentiment parfois présent d'illégitimité, sinon d'imposture. «Le syndrome de l'imposture est quelque chose qui ressort très souvent, explique Noémie Gmür. Les personnes se demandent: “Est-ce que je suis assez queer? Qu'est-ce qui prouve que je suis bisexuel·le?” Elles cherchent des indices, se demandent si, parce qu'elles ont uniquement rencontré des hommes ou des femmes, elles ont le droit d'être attirées par d'autres. Comme s'il fallait une preuve pour attester d'un diplôme de bisexualité…» Ce sentiment d'imposture est souvent présent chez les femmes en couple avec un homme cisgenre, avec l'idée que, dans les cases à cocher pour être queer, il faudrait détester les hommes cisgenres hétéros dans leur intégralité et donc ne jamais relationner avec eux.

L'orientation sexuelle, quelque chose de fluide

Pourtant, nul besoin de cocher des cases: prendre conscience de sa bisexualité ou sa pansexualité, c'est d'abord une réflexion et un cheminement de soi avec soi. Ce cheminement demande de la bienveillance pour se laisser du temps, notamment de savoir ce que l'on a envie de faire de cette prise de conscience.

«Je pense qu'il est important de s'écouter, de prendre le temps de se découvrir, d'observer ses propres évolutions, expose Noémie Gmür. Il y a parfois la pression d'avoir peur de se tromper et un sentiment d'urgence à performer son orientation sexuelle. Cela peut être intéressant de revoir la manière dont on perçoit cette orientation sexuelle et de se dire que c'est quelque chose qui évolue, qui est fluide. Il y a aussi des périodes dans nos vies où on a des envies différentes. Il y a peut-être même des choses qui se passent au niveau hormonal.»

Quel impact sur le couple?

Réfléchir, c'est bien, mais on peut parfois avoir envie de parler de sa bi/pansexualité et peut-être, si on est en couple, de se confier à son ou sa partenaire. Et là peut émerger la crainte de semer le trouble dans la relation. Inès raconte: «J'ai mis beaucoup de temps à en parler à mon compagnon. J'avais peur qu'il se sente menacé. Mais j'avais besoin de lui dire. Ça a mis le temps, j'ai donné des indices, par exemple en disant que je trouvais telle ou telle actrice jolie, etc. Et puis, c'est sorti avec un “je crois que”. Sa réponse a été désarmante avec un “OK, je m'en doutais un peu”.»

«On retrouve ici un gros cliché: les bi vont tromper leur partenaire; sauf que ce sont deux choses complètement différentes, décrypte Noémie Gmür. Je pense que c'est un changement de soi à soi, de comment on se sent, comment on se vit, mais ça ne veut pas dire que ça va influencer la relation, notamment si c'est une relation monogame.» De fait, il n'y a pas forcément de raison pour que le contrat change. «C'est même une belle preuve de confiance que de dire à l'autre: “Voici comment je me sens, voici comment je suis, voici par qui je suis attiré.” S'il y avait l'envie de tromper, ce n'est pas exactement ce qu'une personne dirait», ajoute la sexothérapeute.

Ces moments de transitions sont peut-être l'occasion de consulter un ou une thérapeute de couple. «Les gens pensent souvent à la thérapie de couple quand ils sont au bord du précipice, rappelle la spécialiste. Pourtant, dans ces étapes de changement, c'est parfois important d'être accompagné, d'avoir quelqu'un qui va un peu nuancer ou de travailler sur la communication, pour que les deux se sentent à l'aise de partager leurs envies, leurs craintes dans un cadre qui est peut-être plus neutre qu'un foyer. Il y a beaucoup de choses qui se jouent dans la communication et la confiance qui existent dans une relation

«Après avoir parlé à mon compagnon, il m'a demandé si ma bisexualité changeait quelque chose à notre couple. Je l'ai rassuré. Depuis, c'est finalement quelque chose qui n'est plus un sujet, c'est simplement intégré. Et je me sens soulagée», souffle Inès.

Alors peut-être que, notamment si on est en couple exclusif, la découverte de sa bi/pansexualité ne donnera pas lieu à des expériences sexuelles. Mais parfois, si. Parce que la personne se dit que c'est le bon moment, parce qu'elle en a envie, parce que le contexte est favorable, peut-être aussi parce qu'elle fait une rencontre qui lui donne envie de franchir le cap. Là, il peut y avoir une forme d'anxiété: non seulement du fait de cette biphobie qui demeure, mais aussi simplement parce qu'après des décennies de sexe hétéro, les personnes concernées craignent de ne pas avoir le mode d'emploi.

Là encore, l'idée est de discuter avec le ou la partenaire potentiel, de partager ses craintes… et de ne pas trop se mettre la pression. Les personnes avec qui j'ai échangé pour cette chronique m'ont toutes parlé de leur «première fois» non hétéro comme quelque chose de «naturel», avec le sentiment d'être «à [leur] place». Ainsi, David, 39 ans, confie: «J'avais quelques appréhensions, mais j'ai vécu cette première fois comme un aboutissement et la découverte d'un pur plaisir si longtemps envisagé, la confirmation de quelque chose d'évident.»

Dans tous les cas de figure, si le cheminement peut être long, qu'il est parfois un vrai bouleversement, l'aboutissement est souvent apaisé, si ce n'est joyeux. La «biphorie» est possible!

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